Nous publions la tribune d'Omar Benderra publiée dans Algérie Watch.
« Le 8 mai 1945 est une journée fondatrice dans la longue lutte du peuple algérien pour sa libération et la reconquête de sa souveraineté. Cette date est au cœur du consensus national, au-delà des ancrages partisans, quelles que soient les sensibilités politiques qui animent la société algérienne.
Le quatre-vingtième anniversaire d'un atroce massacre colonial intervient alors que Gaza est le théâtre depuis vingt mois d'un génocide perpétré par l'entité sioniste soutenue par l'écrasante majorité des Etats de l'Occident collectif.
Dans le calendrier algérien, populaire et officiel, des commémorations d'une histoire tourmentée, glorieuse et tragique, ce jour sanglant est lourd de significations symboliques. Le 8 mai 2025 est dominé par la solidarité avec le peuple palestinien dans un contexte où les tensions entre Alger et Paris révèlent la permanence néocoloniale au cœur des sphères droitière et social-démocrate françaises.
Le 8 mai 1945 est assurément le prélude sanglant de la guerre d'indépendance au moment même du crépuscule global de l'hitlérisme. Le chef militaire colonial responsable du carnage, le général Duval l'avait prédit : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » Rien ne changera évidement, le racisme pathologique inhérent à la république colonialiste exclut toute évolution, la rupture est dès lors définitivement consommée. Et un peu moins de dix ans plus tard, le 1er Novembre 1954, le peuple algérien déclenchait la phase finale victorieuse de sa guerre de libération...
La victoire sur le nazisme, forme particulière d'un fascisme qui n'a pas été vraiment élagué des superstructures politiques occidentales, est un triomphe relatif et nuancé, tronqué dès l'origine. Pour le peuple Algérien, la représentation lénifiante propagée par les occidentaux est purement fallacieuse, le 8 mai 1945 est une date funeste. Ce jour-là, comme en d'autres lieux, la population algérienne manifeste massivement sa joie face à la chute du nazisme et exprime son aspiration à sa propre libération. Le 8 mai 1945 sera le jour inaugural d'un des pires massacres coloniaux qui jalonnent l'histoire du pays depuis l'invasion de 1830. Un jour de gloire livide marqué par des tueries de masse, les assassins de la Civilisation en civil ou en uniforme n'épargnant personne se trouvant sur leur chemin ; femmes et enfants, personnes âgées, familles entières...
L'armée régulière appuyée par des forces de police et des milices de colons a eu recours à tous les pires moyens pour écraser une population désarmée. L'aviation a été mobilisée pour des bombardements aveugles, la marine de guerre a utilisé son artillerie contre de pauvres villages côtiers tandis que les troupes au sol procédaient à des ratissages incessants, faisant peu de prisonniers. Dans les villes, des milliers de personnes ont été embastillés dans des camps de fortune aux conditions inhumaines.
Cette armée a fait preuve d'une détermination exterminatrice implacable, des dizaines de milliers de morts directes et autant par la famine et les destructions, en contraste frappant avec la très faible combativité des armées de la république en mai 1940. Comme à chaque étape cruciale de cette longue marche vers l'indépendance, les populations ont payé le prix le plus élevé.
Statu quo autoritaire et menaces extérieures
Le peuple algérien commémore ce 80e anniversaire dans un contexte politique national très en deçà des sacrifices consentis pour le recouvrement de sa souveraineté. La répression des libertés fondamentales et un autoritarisme sénile caractérisent une organisation de pouvoir qui reproduit inlassablement la médiocrité par le clientélisme et l'allégeance. L'instrumentalisation d'une justice servile et l'embastillement des activistes coupables d'avoir exprimé leurs opinions et condamnés à des peines absurdes est le mode répressif aujourd'hui privilégié.
Même si les formes les plus outrancières de corruption semblent avoir été réduites, le système replié sur lui-même ne rend aucun compte et ne tolère aucun questionnement. Aucune voix alternative n'est audible et aucune manifestation autonome de la société n'est permise. Cette chape de plomb stérilisante et la militarisation accentuée du système sont justifiées par ses porte-voix par la montée de périls émanant d'une zone de déstabilisation qui s'étend des confins libyens au sud-est du pays jusqu'aux frontières méridionales sahéliennes. Aux frontières ouest l'occupation continue du Sahara Occidental par les troupes marocaines en fait une zone de tension chronique, aggravée par l'entrée dans l'équation sécuritaire régionale de l'allié sioniste du palais royal. Le Maroc est aujourd'hui un relais actif d'Israël et une base de manœuvres opérationnelles de l'Otan.
Les ruptures susceptibles de se produire à partir de ce voisinage peu favorable sont accentuées par le jeu de puissances extra-continentales qui, au mépris ostensible du droit international, soutiennent l'expansionnisme de Rabat en piétinant les revendications légitimes du peuple sahraoui. A cela il faut ajouter l'activisme virulent des Émirats Arabes Unis, agent arabe de prédilection de la subversion impérialo-sioniste, qui financent et soutiennent les forces de déstabilisation sur l'ensemble de la périphérie de l'Algérie.
Ce constat factuel constitue la base argumentaire des décideurs du système pour renforcer la militarisation de la gestion du pays. Leur volonté première affichée étant de dissuader et prévenir toute aventure inconsidérée de forces hostiles. Il est vrai que cette perspective n'est pas seulement théorique, dans toute la région l'agression illégale de la Libye en 2011 par la coalition franco-britannique décisivement appuyée par la flotte américaine est dans toute les mémoires. L'hypothèse peut paraître spéculative en l'état actuel du rapport de force et des priorités stratégiques des différents acteurs mais elle représente néanmoins une éventualité qui ne peut être ignorée.
De l'Algérie à la Palestine
En effet, si les démocraties ploutocratiques occidentales respectent le droit à l'intérieur de leurs frontières, au-delà elles procèdent d'États de tradition coloniale qui ne respectent pas les règles qu'ils ont eux-mêmes contribué à établir. Ces États ont naturellement recours, lorsque l'opportunité s'offre à eux et les circonstances le permettent, à la guerre et à l'agression de pays plus faibles. Le continent africain et le monde arabo-musulman sont les théâtres habituels du bellicisme blanc. Zones de guerres où l'infériorisation des populations indigènes par l'idéologie colonialiste les exclut tacitement de l'humanité ordinaire. Les médias de ces États, intrinsèquement « racistes parce que coloniaux » selon Frantz Fanon, ne relaient ainsi aucune véritable compassion quand les victimes des conflits que les uns ou les autres provoquent n'appartiennent pas à leur sphère culturelle. Cet état de fait vérifiable au Kivu, dont l'étendue des massacres est passée sous silence par leurs médias, est clairement mis en évidence par le génocide en cours en Palestine occupée.
Il n'est donc rien de surprenant dans le fait que les autorités françaises et les divers courants de droite associés aux reliquats de la social-démocratie éludent, quand ils ne s'en glorifient pas, la responsabilité de leur Etat dans les crimes massifs de la colonisation de l'Algérie.
La prévalence de l'idéologie raciste et suprématiste actualisée dans des démocraties matériellement avancées se vérifie aujourd'hui quotidiennement. Une idéologie qui piétine allègrement tous les principes d'humanisme et de droit international au prix d'un engagement franc et actif dans l'entreprise génocidaire d'Israël. La criminalisation du soutien pacifique à la résistance légitime d'un peuple colonisé traduit la nature réelle de ces démocraties régressives. La posture des régimes occidentaux réprimant celles et ceux qui osent exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien est banalisée dans le cours effroyable du carnage de Gaza. Un carnage cyniquement perpétré par des fascistes sionistes activement soutenus dans la perfidie et le double langage par l'Occident collectif.
Le quatre-vingtième anniversaire du jour inaugural d'un massacre colonial d'une inconcevable sauvagerie qui a duré plusieurs mois sur une grande partie de l'Algérie est commémoré au moment où se déroule un génocide en Palestine occupée sous les yeux du monde entier avec la même distribution des rôles entre bourreaux et victimes et dans la même disproportion de moyens entre ceux de l'envahisseur colonial et ceux de la résistance d'un peuple nié, spolié et opprimé avec férocité depuis 1948.
Il ne s'agit nullement de tenter une impossible comparaison mais le parallèle est d'évidence à bien des égards pour toutes celles et tous ceux qui ont connaissance de l'histoire de la décolonisation de l'Algérie.
Pour toutes celles et ceux qui luttent pour un monde plus juste, pour le droit et la morale, pour l'émancipation de tous les peuples, Gaza martyrisée est la sœur de Sétif, de Kherrata et de Guelma. Certes l'heure est bien sombre dans la solitude d'un combat inégal, mais comme pour le peuple algérien hier, la résistance opiniâtre, l'endurance et la résolution du peuple palestinien face à la barbarie coloniale attestent de l'inéluctabilité de sa libération.
Le 8 mai 2025 est palestinien. »
Par Omar BENDERRA
CAPJPO-Europalestine